RÉSUMÉ
Chloé Duvivier, Stéphanie Truchet, Nicolas Mauhé et Marouene Mbarek
La Documentation française | « Économie & prévision »
2018/2 n° 214 | pages 97 à 139
Depuis près de 15 ans, les pouvoirs publics déploient internet dans les territoires ruraux qui, faute de rentabilité, sont délaissés par les opérateurs privés. Ces investissements publics sont motivés par une volonté d’assurer l’équité territoriale mais ils visent également à stimuler l’attractivité économique de ces territoires.
Afin d’évaluer l’efficacité de ces politiques sur ce deuxième objectif, cette recherche analyse l’effet du déploiement de l’internet très haut débit (THD) sur la création d’entreprises dans les communes peu denses. Pour cela, nous évaluons l’impact des premières années du programme Auvergne Très Haut Débit, lancé en 2013, qui vise à supprimer l’ensemble des « zones blanches » non desservies en THD en Auvergne d’ici 2025. Pour atteindre cet objectif, le programme déploie plusieurs technologies : la fibre optique jusqu’à l’abonné (FttH), dont le déploiement est privilégié, mais aussi des technologies alternatives (montée en débit DSL et Wifimax) et de la fibre professionnelle (FttO).
Afin de fournir une analyse détaillée de l’impact du programme, nous procédons en deux étapes. Tout d’abord, nous évaluons l’impactmoyen du programme, i.e. son effet sur l’ensemble des communes bénéficiaires et des créations d’entreprises. Ensuite, nous étudions si l’impact du programme est hétérogène, en évaluant s’il varie selon le type de communes bénéficiaires et d’entreprises. De plus, dans chacun des cas, nous examinons si l’effet du déploiement de la fibre optique est plus élevé que celui du déploiement du THD toutes technologies confondues.
L’originalité de l’article est d’évaluer l’impact de l’accès auTHDsur l’attractivité économique des territoires ruraux, et particulièrement en France, puisqu’encore peu de travaux abordent cette question, et que la plupart portent sur l’Amérique du Nord.
L’analyse est menée sur les 1 175 communes d’Auvergne situées dans la zone d’initiative publique, sur la période 2010-2017. Pour ce faire, nous mobilisons trois ensembles de données.
D’une part, des données sur le déploiement du programme, fournies par la Régie Auvergne Numérique, qui indiquent pour chaque commune la date de déploiement de chaque technologie. D’autre part, des données annuelles sur le nombre d’établissements créés par commune, issues du Répertoire des entreprises et des établissements (REE/Sirene) de l’Insee. Enfin, nous mobilisons des informations variées sur les caractéristiques des communes issues de différentes bases de données (Recensement de la population, Base permanente des équipements, etc.). Pour mesurer l’impact causal (ou effet propre) du programme Auvergne Très Haut Débit, nous recourrons aux méthodes d’évaluation d’impact. Plus précisément, nous mettons en oeuvre une méthode de doubles différences avec appariement qui consiste à comparer l’évolution de la création d’entreprises dans les communes bénéficiaires du programme à celle dans les communes similaires mais non encore bénéficiaires d’un déploiement THD. Celle-ci s’avère particulièrement adaptée dans notre cas puisque certaines communes sont traitées de manière
prioritaire, en fonction de leurs caractéristiques observables. Par rapport à un appariement standard, qui fait l’hypothèse d’une sélection sur les observables, cette méthode permet également de contrôler l’hétérogénéité inobservée constante dans le temps et les effets temporels communs aux communes traitées et non traitées, éliminant ainsi les principales sources de biais potentiels.
D’après nos estimations, le déploiement du THD comme celui de la Fibre n’a pas stimulé la création d’entreprises lorsque l’on considère l’ensemble des communes bénéficiaires et des entreprises. Les estimations par type de communes et secteur d’activité indiquent que le programme a affecté la création d’entreprises dans quatre secteurs essentiellement et ce, dans certaines communes particulières. Ainsi, le déploiement a stimulé la création d’entreprises dans trois secteurs : la restauration et l’hébergement ; l’administration publique, l’enseignement, la santé humaine et l’action sociale ; ainsi que dans les autres activités de services. Des effets négatifs ont en revanche été identifiés sur l’immobilier. Ces effets sont à l’oeuvre dans les communes bien dotées en aménités naturelles ou ayant bénéficié d’un
déploiement significatif du THD. Par ailleurs, il apparaît que le déploiement de la Fibre produit un impact supérieur à celui du THD toutes technologies confondues et que les effets du programme se renforcent au cours du temps. Rappelons enfin que les effetsmesurés ici sont des effets de court-terme, produits au cours des quatre premières années du programme.
Par conséquent, il apparaît que si le déploiement du THD n’est pas suffisant à lui seul pour impulser le développement économique rural, il peut cependant constituer un levier de développement lorsque certaines conditions, relatives au contexte économique territorial et au design de la politique numérique, sont réunies.
Mots-Clés : attractivité territoriale, Entreprises, internet, technologie, territoires à spécificité, territoire rural, zones rurales
